mardi 30 décembre 2014

De retour

Il est parfois difficile de se relever d’une chute…

Le 31 octobre, à 21h01, lorsque j’ai eu la certitude d’être protégée par la trêve hivernale, une joie immense m'a saisie ! J’ai eu, ce soir-là, la folle envie de faire savoir à qui voulait l’entendre qu'après un an de lutte (dont les deux derniers mois à me dire que chaque lendemain finirait par me faire goûter à l'amertume de l'asphalte), j’étais encore debout ! Hourra ! Alléluia !

Bonheur de courte durée : le retour de manivelle a été rude…

Comme le marathonien qui franchit la ligne d’arrivée épuisé, les jambes coupées, je me suis écroulée, à bout de souffle. Concentrée sur mes dossiers, mes efforts et mes bagarres administratives pour m’en sortir, je ne me suis pas rendu compte à quel point la violence de la situation m’avait atteinte. Lasse, usée, lessivée, cassée… j’ai vidé toutes les larmes de mon corps aux premières heures de la trêve. Puis, plus rien : plus d’énergie, plus d’envie de me battre, de faire bouger les lignes ou d’arranger ma situation.

Je n’ai plus ressenti qu'un furieux besoin de m’isoler, de poser mes bagages et de soigner les coups reçus.

Le manque d’argent ne me fait pas peur ; issue d’une famille d’ouvriers - qui a toujours compté le moindre centime et connu maintes fois la sécheresse financière des fins de mois - j’ai appris à trouver les moyens d’affronter l'obstacle des insuffisances du porte-monnaie. Certes, aujourd’hui, je ne me nourris pas, ne m’habille pas, n’accède pas aux loisirs comme je le souhaiterai. Mais avec quelques euros et un sens de la débrouille, la survie est possible. J’ai aussi hérité d’un tempérament enjoué, positif et combattif. La vie m'a réservé son lot de sales coups, mais j’ai toujours su et pu déployer mon énergie pour leur faire la fête.

Pourtant, cette fois, tout est très différent…

Comment faire comprendre que tomber dans la pauvreté est une terrible violence ? Si elle est parfois bien visible, elle est le plus souvent invisible. Aucune personne me croisant dans la rue ne peut imaginer ma situation précaire. Le débat sur la pauvreté étant quasiment absent de notre société, la misère n’est pas vraiment perçue comme violente par l’ensemble des citoyens. Pour beaucoup, la pauvreté est un problème qui concerne uniquement ceux qui en sont victimes. Et, il n’y a qu’un pas à franchir pour laisser entendre que lesdites victimes l’ont peut-être un peu cherché ! « Pourquoi t’es-tu laissé embarquer là dedans », « Bon, maintenant faut que tu trouves une solution pour ne plus vivre comme ça », « Penses-tu sortir de ton bourbier ? » Des réactions sans doute basiquement humaines, mais bien difficiles à entendre quand elles viennent de certains de ses amis. Elles me donnent même envie de hurler !


Une chanson m’est venue il y a quelques jours en tête : « Si, maman, si… Si, maman, si… Maman si tu voyais ma vie » … Ô ma bien chère maman, toi qui as quitté tout récemment cette Terre, sans connaître la galère dans laquelle je rame, t’est-il seulement possible de voir aujourd’hui où j’en suis ? « Je pleure, comme je ris… Si, maman, si… ». Comprends-tu ma fatigue à combattre ? Et ma tristesse à deviner que l’on peut lier ma situation à une punition, à quelque chose de voulu, voire de mérité ? « Mais mon avenir reste gris… Et mon cœur aussi » Oui, effectivement mon avenir est encore incertain. Mais toi seule sais que même si je plie sous le poids des difficultés et de l’usure, je retrouverai la force de sortir dignement de ce piège antisocial. Mon cœur gris, hier, fait place aux nouvelles couleurs de l'espérance et de l'abandon.

vendredi 24 octobre 2014

Rien ne change…

Voici un extrait de l'article de mes confères du Figaro, publié le 31 octobre 2012. Lisez, c'est
édifiant !


Selon le service de police chargé des expulsions dans mon secteur d'habitation (que j'ai rencontré il n'y a pas longtemps), absolument rien n'a changé en 2013… Et la même et lamentable procédure se répètera à l'évidence dans les prochains jours, pour un bon nombre de personnes sous le coup d'un commandement de quitter les lieux.


Pour rappel, notre belle Constitution dit ceci : « La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" (art. 10), "droit à la sécurité matérielle" (art. 11). »
On en est bien loin, non ?


Figaro, du 31 octobre 2012

En 2011, 113.669 décisions judiciaires d'expulsion ont été rendues (+4% sur un an et +40% en 10 ans), et 12.760 expulsions ont eu lieu avec le concours de la force publique (+9% sur un an, un doublement en dix ans), selon les ministères de la Justice et de l'Intérieur. "Mais on estime à 50.000 le nombre de familles expulsées, car beaucoup partent sous la pression des huissiers ou de gros bras, ou quittent leur logement en catimini, par honte", précise Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.

 Il dénonce comme chaque année une accentuation des expulsions en octobre, juste avant la trêve. Ce que dément Patrick Safar, trésorier de la Chambre nationale des huissiers de justice. "On intervient quand on a le concours de la force publique, mais souvent la préfecture ne nous l'accorde qu'en dernière minute", dit-il. Il précise que 90% des procédures "se résolvent par un départ volontaire. A partir du moment où il y a une décision de justice, il faut l'appliquer. Mais on essaie que la décision soit la moins douloureuse possible", ajoute-t-il.

Baromètre Ipsos-Secours populaire sur la perception de l...

vendredi 17 octobre 2014

Tic-tac… tic-tac…

On a beau avoir été un locataire modèle, avoir payé son loyer sans accro pendant 18 longues années, et se faire jeter dehors au premier incident financier venu. « Je me suis montrée très patiente ! », a pesté ma propriétaire au téléphone. Son appel, le 18 juin, a été très clair : « Partez ! Partez donc ! », a-t-elle répété. Partir ? Ce n’est guère l’envie qui m’en manque, quand on ressent si peu de considération. Mais sans argent, aucune évasion n’est possible. Ce 18 juin, en clin d’œil au grand Charles, je décide donc de faire de la résistance.

Deux rejets de FSL (Fonds de solidarité pour le logement) plus tard, mon irréductible propriétaire - qui a décidé de refuser tout aide qui lui assurerait une partie du loyer - me lance un « commandement de quitter les lieux ». Ce document de trois pages, rédigé par un huissier, au langage glacial comme il se doit, me somme « de quitter et vider de tous biens et de toutes personnes les locaux » d’habitation dans un « délai de deux mois ».

Deux seuls petits mois après avoir été réglo durant 18 ans. Sympa ! Non, vraiment !… « Très important » signale l’huissier dans un des chapitres : « À défaut, je me verrai contraint de procéder à votre expulsion et à celle de tous les occupants de votre chef, si nécessaire avec l’assistance de la force publique, d’un serrurier et d’un déménageur ». Bref, une charmante déclaration d’amour à son prochain, qui déclenche le chrono dans un seul but : jeter à la rue l’épouvantable mauvais payeur que je suis devenue.

Tic-tac… tic-tac… « Vous n’avez toujours pas de revenus. Ça va être difficile de vous reloger », me dit le service social. Derrière le mot « difficile », comprenez « mission impossible ».

Tic-tac… tic-tac… Reprise du footing social : Pôle emploi, CAF, Défenseur des droits, médiateur juridique, associations d’aide aux plus démunis… Réponses pêle-mêle (vous êtes joueurs ? Tentez de relier les bonnes réponses et aux organismes) : « On va essayer de débloquer votre subvention » « Vous êtes trop vieille pour trouver quelque chose. Enfin, vous voyez ce que je veux dire… », « Nous avons étudié vos droits. Ils changent. Vous nous devez la somme de… », « Madame, votre dossier est complexe » ou encore « Laissez un message, votre interlocuteur vous rappellera… »

Tic-tac… tic-tac… Pas de traces du Dalo envoyé par La Poste depuis mon lieu de travail lorsque j’étais en province. Réponse mécanique de la standardiste : « Renvoyez-le ou repassez à la Préfecture ». Clap ! Dalo à l’eau, deuxième !

Tic-tac… tic-tac… « Faites d’urgence un dossier de surendettement ! » Ok, mais je ne risque pas de pénaliser mon entreprise ? « Absolument ! Ne faites pas cette bêtise », annoncent les uns. « Qui dit des âneries pareilles ? Votre société ne craint rien du tout. N’attendez pas ! », se révoltent les autres. Qui croire ? Une chance sur deux de me planter.

Tic-tac… tic-tac… Convocation au commissariat de police. Je suis reçue avec plus d’humanité que tous les services sociaux et administratifs réunis. La policière se désole de ma situation. « Ça devient dur, Madame. La misère est chaque jour plus visible sur le terrain. Le plus difficile est d’expulser une dame âgée, incapable de payer son loyer à cause de sa petite pension. » Comment en est-on arrivé-là ?

Tic-tac… tic-tac… « Désormais, votre dossier est chez le préfet de police. Il peut vous accorder la pause de la trêve hivernale. Mais certains expulsent les locataires jusqu’au dernier jour avant la trêve », explique ma nouvelle conseillère en économie sociale et familiale. « Vous avez une épée de Damoclès au-dessus de la tête ! », résume simplement l’huissier.

La rue, c’est pour demain ? 15 jours avant la trêve hivernale ; tout peut se passer. Faut tenir bon. Oui, tenir bon ! Ne pas craquer… Tic-tac… tic-tac… Tic-tac… tic-tac…

dimanche 14 septembre 2014

Un rayon de soleil dans l’administration

Il y a, comme ça, dans la vie des gens qui rendent les journées plus belles. Des petits rayons de soleil qui viennent se glisser malicieusement entre les sombres nuages, un peu comme s’ils étaient missionnés pour partager avec vous un doux instant de bonheur. Cela nous est arrivé à tous, au détour d’une rencontre dans un magasin, un jardin public, à son travail aussi… Là où l’on s’y attend le moins, c’est peut-être dans l’administration.


Au fil de mes pérégrinations sociales, j’ai en effet rencontré plus de têtes chiffonnées, de sourire à l’envers, de voix agacées que de regards compatissants et de visages ouverts. Et pourtant, ils existent ces charmants petits rayons de soleil dans nos administrations sclérosées… Si, si ! Ma conseillère en économie sociale et familiale est d’ailleurs l’un d’entre eux.

L’incompétence, l’inefficacité ou le mépris affiché d’un certain nombre de fonctionnaires font qu’on est tout ébaubi le jour où l’on est accueilli par un travailleur social souriant, plein d’esprit et à l’écoute. Un conseil par-ci, un coup de booster par-là, des rappels humoristiques aux obligations administratives, des dossiers remplis avec patience, parfois à des heures tardives (vous lisez bien !)… Les rendez-vous avec ma conseillère en économie sociale et familiale ont été riches de professionnalisme et d’humanité.

À ce jour, j’arrive à l’étape finale de ma procédure d’expulsion. C’est précisément là que ma conseillère en économie sociale et familiale quitte son affectation pour briller dans un autre service. Après avoir éclairé pendant presque un an et demi mon parcours, c’est avec regret que je vois partir mon « petit rayon de soleil », à qui j’ai envie d’adresser un mot tout simple et sincère : « merci ! »

mercredi 3 septembre 2014

Je vous fais peur ?

Aujourd’hui, la France compte entre 4,9 et 8,7 millions de pauvres ; plus de 3,5 millions de personnes sont mal logées et presque autant font appel à l'aide alimentaire ; 140 000 sont sans domicile, dont 30 000 enfants (Insee 2013) et parmi eux 9 % sont des sans-abris. Ces statistiques ne comptent évidemment pas ceux qui n’osent pas s’adresser à l’aide sociale. Des chiffres qui vous effraient ?

La crise persistante continue à pousser chaque jour des gens vers la précarité. Si la pauvreté frappe plus durement les catégories sociales fragiles, la détérioration de l’emploi inquiète désormais tous les milieux. Et cette pauvreté, devenue presque accessible à tous, nourrit un vrai sentiment de peur.

Je ne ferais pas preuve d’arrogance. Comme beaucoup, lorsque mes finances étaient au beau fixe et ma situation établie, je m’intéressais épisodiquement à la pauvreté. De l’émotion face à un terrible témoignage, des dons à des œuvres humanitaires, de l’indignation à la lecture des études des associations luttant contre la précarité… Et puis le bien-être conduit tout naturellement vers d’autres préoccupations.

Pour être aujourd’hui de l’autre côté de la barrière, je me rends compte à quel point nous devrions tous être en éveil et actifs face au sort des plus démunis, tant la précarité peut briser un individu. Certes, la pauvreté a toujours existé et bien fort sera celui qui arrivera un jour à l’éradiquer. Reste que nous devons avoir conscience que notre manière de l'aborder à une influence et un rôle sur l’orientation de notre société. Nous avons tendance à croire que les changements sont uniquement du ressort de nos dirigeants. La pauvreté est l’affaire de tous… y compris des pauvres !

« Avec de l’argent, on est quelqu’un, sans on n’est plus rien. Ils ont tous peur que ça leur arrive, du coup ils m’évitent », me confiait une dame d’une soixantaine d’années, dans la salle d’attente du service social, où nous attendions nos rendez-vous respectifs. Oui, moi aussi je fais peur à ma famille et à mes amis. Cette crainte peut être paralysante, nous pousser à nous replier sur nous-mêmes, mais elle peut aussi secouer notre vigilance.

Demain, vous pouvez vous aussi connaître la dégringolade et les fins de mois sans le sou. La pauvreté n’arrive pas qu’aux autres. Réveillons-nous !… Je vous fais peur ?


mardi 19 août 2014

Mon Dalo prend l'eau (2/2)

À mon tour ! Dossier recopié, je passe au guichet. C'est l'agent aboyeur qui me reçoit. Sans un mot, il contrôle les pages du document.
— Où sont les pièces jointes ? lance-t-il.

Je sors les feuilles de ma chemise à élastiques.
— Il faut les photocopier. Vous avez une machine à votre disposition à l'entrée. C'est 20 centimes la photocopie.

Hélas, mon porte-monnaie est à plat. Je n'ai plus un sou depuis près de 3 mois… Cette situation fait suite à la mesquinerie de mon ex-employeur qui n'a rien trouvé de mieux que de ne pas me délivrer mon solde tout compte, et cela malgré l'obligation qu'il a de le faire et un prud'homme qui a abouti à un accord, évidemment non respecté. Sans attestation d'employeur, pas d'inscription au Pôle emploi. Sans solde tout compte et sans Pôle emploi, pas de revenus ! Une situation absurde qu'il faut gérer.
— Je n'ai pas d'argent pour payer les photocopies, dis-je à l'agent administratif.
— C'est 20 centimes ! répète-t-il comme pour me faire comprendre que ce n'est vraiment pas grand-chose. Et il précise : c'est une machine qui appartient à La Poste.
— Quand je dis que je n'ai pas d'argent, en fait je veux dire que je n'ai pas de revenus en ce moment…
Visage surpris de mon interlocuteur :
— Mais de quoi vivez-vous ?
— Actuellement, des aides financières alimentaires accordées par le service social…

Après un court silence, l'homme réplique :
— Ah, mais il me faut des photocopies. Votre dossier ne peut être enregistré sans cela…
— Très bien, lui dis-je, je reviendrais plus tard. Merci…

Je range mes papiers et m'apprête à tourner les talons, lorsque l'agent me retient :
— Attendez, vous avez peut-être, je dis bien peut-être, la possibilité de faire des photocopies gratuites. Pour ça, vous devez vous rendre à cette association (il me donne un imprimé avec le nom et l'adresse). Là-bas, il faudra leur faire remplir le Dalo (il me glisse un nouveau formulaire vierge par la trappe). Vous jouez celle qui ne comprend rien ; ils vous aideront à monter votre dossier et prendront peut-être en charge les photocopies.

Je récupère les coordonnées sans conviction. Suis-je vraiment réduite à jouer les idiotes juste pour quelques photocopies ? Alors que je suis toute à mes réflexions, je sens un étonnant changement de ton chez l'agent administratif, comme s'il s'autorisait à un peu de gentillesse :
— Comment en êtes-vous arrivé là ? me dit-il presque doucement.

Je lui raconte brièvement les déboires qui m'ont amené à être expulsée par ma propriétaire.
— Vous savez comment les choses vont se dérouler ? m'interroge-t-il.

Oui, Monsieur l'agent administratif, on me l'a déjà expliqué. Mais en journaliste que je suis, je pense que ces explications venues d'un autre service me donneront aussi un éclairage différent sur le sujet et, pourquoi pas, une nouvelle info… Mais, plus encore, je tiens à ne pas briser ce petit élan d'humanité.
— Non, je ne sais pas, lui dis-je alors.

Et voilà mon agent parti pour me détailler autant qu'il le peut l'avant et l'après du circuit de l'expulsion. Il me donne des conseils et même des documents qui me serviront par la suite. Une manière d'aider.

Ses explications terminées, je récupère ma paperasserie et me dirige vers la sortie. Aujourd'hui, mon Dalo est à l'eau ; il me faudra revenir.
— Bon courage, ajoute l'homme.

Oui, Monsieur l'agent administratif ! Et si vous gardiez un peu de cet accueil… pour tous ?

dimanche 17 août 2014

Mon Dalo prend l'eau (1/2)

L'exclusion est une violence. Celle-ci ne se traduit pas forcément par des coups physiques, des réprimandes ou des insultes. Il y a aussi toutes ces petites choses qui, les unes à la suite des autres, montrent que l'on est différent, rejeté de la cohorte des citoyens...

Il fait extrêmement chaud en ce jour de juin. Le ciel est d'un joli bleu Côte d'Azur. Je quitte l'appartement le sourire aux lèvres, mon volumineux dossier administratif sous le bras. Un petit tour par le métro : foule au ralenti, chaleur suffocante des kilomètres de boyaux souterrains, détour pour éviter certaines lignes en travaux d'été... puis enfin l'air libre. Aujourd'hui, je dépose mon « Dalo » !

Pour les non-initiés, il s'agit des initiales de « Droit au logement opposable ». Institué en 2007, ce document permet aux personnes mal logées de faire valoir leur droit à un logement ou un hébergement digne. Le sésame qui assure de ne pas finir sous les ponts, de retrouver un semblant d'honorabilité... Quoique, là non plus, rien n'est gagné.

En bonne élève, j'ai pris soin la veille de vérifier que toutes les cases du dossier soient bien remplies et qu'il ne manque aucune pièce. Mon assistante sociale y ayant jeté un coup d'œil il y a peu, je suis sûre que le dépôt du Dalo sera une simple formalité. Ruisselante sous les rayons piquants du soleil de midi, je pousse les portes de la Préfecture, dont l'intérieur est climatisé.

Tout beau, tout moderne, le bâtiment, ouvert depuis septembre 2011, offre (étrangement) un espace beaucoup moins fun à ceux qui présentent le Dalo. L'agent administratif, protégé derrière une immense vitre, ouvre une petite trappe pour à la fois entendre nos jolies voix et réceptionner nos documents. Un accueil et des guichets dignes de nos anciens bureaux de poste. Au moins, on comprend tout de suite une chose : ici, l'administration fait autorité.

Après mon « bonjour », auquel l'agent - sourire au vestiaire - répond du bout des lèvres, je te tends le dossier. La femme feuillette et me lance froidement :
— Pourquoi avez-vous barré ces paragraphes ?

L'agent mitraille ses mots sans me laisser le temps d'une réponse :
— On ne fait pas ça, Madame ! Non, mais regarde un peu ce truc ? dit-elle en montrant l'objet du délit à son collègue, qui s'épouvante à son tour.

Je souris. Je sais à qui appartiennent ces grands traits ondulants sur les feuilles.
— C'est mon assistante sociale qui a rayé tout ce qui n'a pas trait à ma situation.
— Votre assistante sociale ? Mais elle n'a pas à faire ça ! On ne peut pas enregistrer un document pareil. Voilà un nouveau formulaire... Remplissez-le proprement.

Punie, je suis ! Chère Gwenaëlle (prénom modifié pour protéger l'anonymat), il va falloir que je vous dise que vos collègues de certaines administrations n'aiment pas du tout vos coups de crayon. L'incident m'amuse et en même temps, j'ai une dizaine de pages à recopier. Courage, ma fille, tu n'es plus à ça près ! Et, par chance, tu as une table et des chaises.

Mon travail en cours, un homme entre. Au guichet, il s'informe du délai pour la validation de son Dalo :
— Vous recevrez une lettre recommandée au bout de deux mois, répète en boucle l'agent administratif, pendant que l'homme tente d'expliquer sa situation. On sent ce dernier tourmenté.
— Je vous dis que vous recevrez une lettre recommandée dans deux mois, aboie fortement l'agent.
— Mais ça fait deux mois, Monsieur !, répond calmement le visiteur.
— Eh bien attendez la fin de la semaine, conclut le guichetier.

Fin de la discussion. L'agent ferme sa trappe et l'homme repart.

Cet homme était visiblement inquiet, Monsieur l'agent administratif ! Un mot calme, du style "Je comprends votre angoisse, mais soyez patient. Vous recevrez bientôt une lettre recommandée" vous aurait-il tué ? Cet homme n’avait pas l’air d’un fou… Il revenait pour la 10e fois ? Et alors… ! Il craint sans doute de finir à la rue, et peut-être avec une famille.

Que feriez-vous à sa place, Monsieur l'agent administratif ? Montrez un peu d’humanité et cessez d'aboyer ! Oui, cessez d'aboyer !


(à suivre)

vendredi 15 août 2014

Famille, maison ou bureau ?

Nos vies sont en permanence ponctuées d'événements heureux, malheureux, inattendus, circonstanciels ou dus à nos choix. Mais un jour, va savoir pourquoi, il arrive que tous les éléments se liguent et se déchaînent au même moment : famille qui part « en cacahuètes », soucis financiers personnels et professionnels, embrouilles administratives… Bref, un joyeux désordre qui, pour moi, s'est transformé en énorme bourbier.

Comme une étrange ritournelle, les difficultés se sont présentées presque chaque matin, jusqu'à surcharger le mulet qui a flanché. Principal souci : l'argent, bien sûr. Et la société de consommation que nous avons bâtie se fait fort de nous rappeler que sans lui nous ne sommes rien.

Le moment arrive où je ne suis plus en mesure de payer mon loyer. Sans attendre, je me rapproche des services sociaux. On m'attribue une charmante personne pour m'aider à décrocher des aides. Je découvre au fur et à mesure les différentes administrations à solliciter et la quantité de dossiers à remplir. Dossiers répondants aux doux noms de CMU, ACS, FSL, RSA, ASS, DALO, ALS… Des abréviations qui ne me sont pas inconnues, mais qui prennent brutalement un sens lorsque je prépare les documents.

C'est la valse des administrations et de la paperasserie ! Combien de temps passé à attendre dans les files, à revenir pour un papier manquant, voire perdu, à téléphoner, à se perdre en rendez-vous qui se terminent immanquablement par : « Il nous faudra le document "machin" sinon votre dossier ne pourra pas être envoyé. »

Tout devient important, tout devient urgent. Chacun y va de son mot de rappel : « N'oubliez pas ! » Entre la famille, la maison et le bureau qui prennent l'eau, par qui et par quoi commencer ? Au secours, où est le bouton « pause » !

lundi 11 août 2014

Chronique d’une chute annoncée

« Qu'est-ce que tu attends? Vas-y, raconte ! Lance-toi dès maintenant... » Ce sont les mots d'une amie chère qui m'ont poussée, il y a peu, à ouvrir ce blog. Certes, je comptais témoigner de mon expérience, mais plus tard, et dans un livre. Encore un témoignage, direz-vous ? Oui, c'est vrai. Mais de par mon métier (je suis journaliste), je sais combien il peut avoir un impact. Le témoignage prend des formes différentes : journal intime, lettre, mémoires... Le mien sera un mélange de récit de vie et de reportage. Dans quel but ? Certainement pas celui de me faire plaindre à la lecture de mes déboires, mais plutôt dans celui de dénoncer un système qui broie des femmes et des hommes au quotidien.

Aujourd'hui, des centaines de milliers de personnes vivent dans la rue, de jour comme de nuit. Le filet social est devenu si ténu qu'il est très facile de devenir SDF. Paradoxe de notre monde ou le bien-être est devenu une règle d'or et un signe de bonne santé durable, nous faisons fi de l'aspect social et humain de la vie en société, élément pourtant indispensable à l'équilibre d'un État. Combien de gens sont ignorés, rejetés, humiliés, pour la seule raison qu'ils sont démunis. La pauvreté dérange, si elle ne fait pas peur, comme une maladie contagieuse...

Je suis sur le point de basculer dans le monde de ceux qu'on appelle « les sans-abris ». Non par choix d'un bon sujet journalistique, mais par le fait d'une série d'ennuis qui, mois après mois, me poussent inexorablement vers la chute. De longs moments de galère qui m'ont fait, et me font encore, réfléchir à la phrase de Shakespeare : « Il n'y a que les mendiants qui puissent compter leurs richesses. »