On a beau avoir été un locataire modèle, avoir payé son
loyer sans accro pendant 18 longues années, et se faire jeter dehors au premier
incident financier venu. « Je me suis montrée très patiente ! »,
a pesté ma propriétaire au téléphone. Son appel, le 18 juin, a été très
clair : « Partez ! Partez donc ! », a-t-elle répété.
Partir ? Ce n’est guère l’envie qui m’en manque, quand on ressent si peu de considération. Mais sans argent, aucune évasion n’est possible. Ce 18 juin, en
clin d’œil au grand Charles, je décide donc de faire de la résistance.
Deux rejets de FSL (Fonds de solidarité pour le logement)
plus tard, mon irréductible propriétaire - qui a décidé de refuser tout aide qui
lui assurerait une partie du loyer - me lance un « commandement de quitter
les lieux ». Ce document de trois pages, rédigé par un huissier, au langage
glacial comme il se doit, me somme « de quitter et vider de tous biens et
de toutes personnes les locaux » d’habitation dans un « délai de deux
mois ».
Deux seuls petits mois après avoir été réglo durant 18 ans. Sympa !
Non, vraiment !… « Très important » signale l’huissier dans un des
chapitres : « À défaut, je me verrai contraint de procéder à votre
expulsion et à celle de tous les occupants de votre chef, si nécessaire avec
l’assistance de la force publique, d’un serrurier et d’un déménageur ».
Bref, une charmante déclaration d’amour à son prochain, qui déclenche le chrono
dans un seul but : jeter à la rue l’épouvantable mauvais payeur que je suis
devenue.
Tic-tac… tic-tac… « Vous n’avez toujours pas de
revenus. Ça va être difficile de vous reloger », me dit le service social.
Derrière le mot « difficile », comprenez « mission
impossible ».
Tic-tac… tic-tac… Reprise du footing social : Pôle
emploi, CAF, Défenseur des droits, médiateur juridique, associations d’aide aux
plus démunis… Réponses pêle-mêle (vous êtes joueurs ? Tentez de
relier les bonnes réponses et aux organismes) : « On va essayer de
débloquer votre subvention » « Vous êtes trop vieille pour trouver
quelque chose. Enfin, vous voyez ce que je veux dire… », « Nous avons
étudié vos droits. Ils changent. Vous nous devez la somme de… »,
« Madame, votre dossier est complexe » ou encore « Laissez un
message, votre interlocuteur vous rappellera… »
Tic-tac… tic-tac… Pas de traces du Dalo envoyé par La Poste
depuis mon lieu de travail lorsque j’étais en province. Réponse mécanique de la
standardiste : « Renvoyez-le ou repassez à la Préfecture ».
Clap ! Dalo à l’eau, deuxième !
Tic-tac… tic-tac… « Faites d’urgence un dossier de
surendettement ! » Ok, mais je ne risque pas de pénaliser mon
entreprise ? « Absolument ! Ne faites pas cette bêtise », annoncent
les uns. « Qui dit des âneries pareilles ? Votre société ne craint rien du
tout. N’attendez pas ! », se révoltent les autres. Qui croire ?
Une chance sur deux de me planter.
Tic-tac… tic-tac… Convocation au commissariat de police. Je
suis reçue avec plus d’humanité que tous les services sociaux et administratifs
réunis. La policière se désole de ma situation. « Ça devient dur, Madame.
La misère est chaque jour plus visible sur le terrain. Le plus difficile est
d’expulser une dame âgée, incapable de payer son loyer à cause de sa petite
pension. » Comment en est-on arrivé-là ?
Tic-tac… tic-tac… « Désormais, votre dossier est chez
le préfet de police. Il peut vous accorder la pause de la trêve hivernale. Mais
certains expulsent les locataires jusqu’au dernier jour avant la trêve »,
explique ma nouvelle conseillère en économie sociale et familiale. « Vous
avez une épée de Damoclès au-dessus de la tête ! », résume simplement l’huissier.
La rue, c’est pour demain ? 15 jours avant la trêve
hivernale ; tout peut se passer. Faut tenir bon. Oui, tenir bon ! Ne pas
craquer… Tic-tac… tic-tac… Tic-tac… tic-tac…