Il est parfois difficile de se relever d’une chute…
Le 31 octobre, à 21h01, lorsque j’ai eu la certitude d’être
protégée par la trêve hivernale, une joie immense m'a saisie ! J’ai eu,
ce soir-là, la folle envie de faire savoir à qui voulait l’entendre qu'après un an de
lutte (dont les deux derniers mois à me dire que chaque lendemain finirait
par me faire goûter à l'amertume de l'asphalte), j’étais encore debout
! Hourra ! Alléluia !
Bonheur de courte durée : le retour de manivelle a été rude…
Comme le marathonien qui franchit la ligne d’arrivée épuisé, les
jambes coupées, je me suis écroulée, à bout de souffle. Concentrée sur mes
dossiers, mes efforts et mes bagarres administratives pour m’en sortir, je ne
me suis pas rendu compte à quel point la violence de la situation m’avait
atteinte. Lasse, usée, lessivée, cassée… j’ai vidé toutes les larmes de mon
corps aux premières heures de la trêve. Puis, plus rien : plus d’énergie, plus d’envie de me battre, de faire bouger les lignes ou
d’arranger ma situation.
Je n’ai plus ressenti qu'un furieux besoin de m’isoler, de poser mes
bagages et de soigner les coups reçus.
Le manque d’argent ne me fait pas peur ; issue d’une
famille d’ouvriers - qui a toujours compté le moindre centime et connu maintes fois la sécheresse financière des fins de mois - j’ai appris à trouver les
moyens d’affronter l'obstacle des insuffisances du porte-monnaie. Certes, aujourd’hui, je ne me
nourris pas, ne m’habille pas, n’accède pas aux loisirs comme je le
souhaiterai. Mais avec quelques euros et un sens de la débrouille, la survie est
possible. J’ai aussi hérité d’un tempérament enjoué, positif et combattif. La
vie m'a réservé son lot de sales coups, mais j’ai toujours su et pu
déployer mon énergie pour leur faire la fête.
Pourtant, cette fois, tout est très différent…
Comment faire comprendre que tomber dans la pauvreté est une terrible
violence ? Si elle est parfois bien visible, elle est le plus souvent
invisible. Aucune personne me croisant dans la rue ne peut imaginer ma situation précaire. Le débat sur la pauvreté étant quasiment absent de
notre société, la misère n’est pas vraiment perçue comme violente par l’ensemble
des citoyens. Pour beaucoup, la pauvreté est un problème qui concerne uniquement
ceux qui en sont victimes. Et, il n’y a qu’un pas à franchir pour laisser entendre
que lesdites victimes l’ont peut-être un peu cherché ! « Pourquoi t’es-tu
laissé embarquer là dedans », « Bon, maintenant faut que tu trouves une solution pour ne plus vivre
comme ça », « Penses-tu sortir de ton bourbier ? » Des
réactions sans doute basiquement humaines, mais bien difficiles à entendre quand elles viennent de certains de ses amis. Elles me donnent même envie
de hurler !
Une chanson m’est venue il y a quelques jours en tête : « Si,
maman, si… Si, maman, si… Maman si tu voyais ma vie » … Ô ma bien chère
maman, toi qui as quitté tout récemment cette Terre, sans connaître la galère
dans laquelle je rame, t’est-il seulement possible de voir aujourd’hui où j’en
suis ? « Je pleure, comme je ris… Si, maman, si… ». Comprends-tu ma
fatigue à combattre ? Et ma tristesse à deviner que l’on peut lier ma
situation à une punition, à quelque chose de voulu, voire de mérité ? « Mais
mon avenir reste gris… Et mon cœur aussi » Oui, effectivement mon avenir est encore incertain. Mais toi seule sais que même si je
plie sous le poids des difficultés et de l’usure, je retrouverai la force de sortir
dignement de ce piège antisocial. Mon cœur gris, hier, fait place aux nouvelles couleurs de l'espérance et de l'abandon.