mardi 19 août 2014

Mon Dalo prend l'eau (2/2)

À mon tour ! Dossier recopié, je passe au guichet. C'est l'agent aboyeur qui me reçoit. Sans un mot, il contrôle les pages du document.
— Où sont les pièces jointes ? lance-t-il.

Je sors les feuilles de ma chemise à élastiques.
— Il faut les photocopier. Vous avez une machine à votre disposition à l'entrée. C'est 20 centimes la photocopie.

Hélas, mon porte-monnaie est à plat. Je n'ai plus un sou depuis près de 3 mois… Cette situation fait suite à la mesquinerie de mon ex-employeur qui n'a rien trouvé de mieux que de ne pas me délivrer mon solde tout compte, et cela malgré l'obligation qu'il a de le faire et un prud'homme qui a abouti à un accord, évidemment non respecté. Sans attestation d'employeur, pas d'inscription au Pôle emploi. Sans solde tout compte et sans Pôle emploi, pas de revenus ! Une situation absurde qu'il faut gérer.
— Je n'ai pas d'argent pour payer les photocopies, dis-je à l'agent administratif.
— C'est 20 centimes ! répète-t-il comme pour me faire comprendre que ce n'est vraiment pas grand-chose. Et il précise : c'est une machine qui appartient à La Poste.
— Quand je dis que je n'ai pas d'argent, en fait je veux dire que je n'ai pas de revenus en ce moment…
Visage surpris de mon interlocuteur :
— Mais de quoi vivez-vous ?
— Actuellement, des aides financières alimentaires accordées par le service social…

Après un court silence, l'homme réplique :
— Ah, mais il me faut des photocopies. Votre dossier ne peut être enregistré sans cela…
— Très bien, lui dis-je, je reviendrais plus tard. Merci…

Je range mes papiers et m'apprête à tourner les talons, lorsque l'agent me retient :
— Attendez, vous avez peut-être, je dis bien peut-être, la possibilité de faire des photocopies gratuites. Pour ça, vous devez vous rendre à cette association (il me donne un imprimé avec le nom et l'adresse). Là-bas, il faudra leur faire remplir le Dalo (il me glisse un nouveau formulaire vierge par la trappe). Vous jouez celle qui ne comprend rien ; ils vous aideront à monter votre dossier et prendront peut-être en charge les photocopies.

Je récupère les coordonnées sans conviction. Suis-je vraiment réduite à jouer les idiotes juste pour quelques photocopies ? Alors que je suis toute à mes réflexions, je sens un étonnant changement de ton chez l'agent administratif, comme s'il s'autorisait à un peu de gentillesse :
— Comment en êtes-vous arrivé là ? me dit-il presque doucement.

Je lui raconte brièvement les déboires qui m'ont amené à être expulsée par ma propriétaire.
— Vous savez comment les choses vont se dérouler ? m'interroge-t-il.

Oui, Monsieur l'agent administratif, on me l'a déjà expliqué. Mais en journaliste que je suis, je pense que ces explications venues d'un autre service me donneront aussi un éclairage différent sur le sujet et, pourquoi pas, une nouvelle info… Mais, plus encore, je tiens à ne pas briser ce petit élan d'humanité.
— Non, je ne sais pas, lui dis-je alors.

Et voilà mon agent parti pour me détailler autant qu'il le peut l'avant et l'après du circuit de l'expulsion. Il me donne des conseils et même des documents qui me serviront par la suite. Une manière d'aider.

Ses explications terminées, je récupère ma paperasserie et me dirige vers la sortie. Aujourd'hui, mon Dalo est à l'eau ; il me faudra revenir.
— Bon courage, ajoute l'homme.

Oui, Monsieur l'agent administratif ! Et si vous gardiez un peu de cet accueil… pour tous ?

dimanche 17 août 2014

Mon Dalo prend l'eau (1/2)

L'exclusion est une violence. Celle-ci ne se traduit pas forcément par des coups physiques, des réprimandes ou des insultes. Il y a aussi toutes ces petites choses qui, les unes à la suite des autres, montrent que l'on est différent, rejeté de la cohorte des citoyens...

Il fait extrêmement chaud en ce jour de juin. Le ciel est d'un joli bleu Côte d'Azur. Je quitte l'appartement le sourire aux lèvres, mon volumineux dossier administratif sous le bras. Un petit tour par le métro : foule au ralenti, chaleur suffocante des kilomètres de boyaux souterrains, détour pour éviter certaines lignes en travaux d'été... puis enfin l'air libre. Aujourd'hui, je dépose mon « Dalo » !

Pour les non-initiés, il s'agit des initiales de « Droit au logement opposable ». Institué en 2007, ce document permet aux personnes mal logées de faire valoir leur droit à un logement ou un hébergement digne. Le sésame qui assure de ne pas finir sous les ponts, de retrouver un semblant d'honorabilité... Quoique, là non plus, rien n'est gagné.

En bonne élève, j'ai pris soin la veille de vérifier que toutes les cases du dossier soient bien remplies et qu'il ne manque aucune pièce. Mon assistante sociale y ayant jeté un coup d'œil il y a peu, je suis sûre que le dépôt du Dalo sera une simple formalité. Ruisselante sous les rayons piquants du soleil de midi, je pousse les portes de la Préfecture, dont l'intérieur est climatisé.

Tout beau, tout moderne, le bâtiment, ouvert depuis septembre 2011, offre (étrangement) un espace beaucoup moins fun à ceux qui présentent le Dalo. L'agent administratif, protégé derrière une immense vitre, ouvre une petite trappe pour à la fois entendre nos jolies voix et réceptionner nos documents. Un accueil et des guichets dignes de nos anciens bureaux de poste. Au moins, on comprend tout de suite une chose : ici, l'administration fait autorité.

Après mon « bonjour », auquel l'agent - sourire au vestiaire - répond du bout des lèvres, je te tends le dossier. La femme feuillette et me lance froidement :
— Pourquoi avez-vous barré ces paragraphes ?

L'agent mitraille ses mots sans me laisser le temps d'une réponse :
— On ne fait pas ça, Madame ! Non, mais regarde un peu ce truc ? dit-elle en montrant l'objet du délit à son collègue, qui s'épouvante à son tour.

Je souris. Je sais à qui appartiennent ces grands traits ondulants sur les feuilles.
— C'est mon assistante sociale qui a rayé tout ce qui n'a pas trait à ma situation.
— Votre assistante sociale ? Mais elle n'a pas à faire ça ! On ne peut pas enregistrer un document pareil. Voilà un nouveau formulaire... Remplissez-le proprement.

Punie, je suis ! Chère Gwenaëlle (prénom modifié pour protéger l'anonymat), il va falloir que je vous dise que vos collègues de certaines administrations n'aiment pas du tout vos coups de crayon. L'incident m'amuse et en même temps, j'ai une dizaine de pages à recopier. Courage, ma fille, tu n'es plus à ça près ! Et, par chance, tu as une table et des chaises.

Mon travail en cours, un homme entre. Au guichet, il s'informe du délai pour la validation de son Dalo :
— Vous recevrez une lettre recommandée au bout de deux mois, répète en boucle l'agent administratif, pendant que l'homme tente d'expliquer sa situation. On sent ce dernier tourmenté.
— Je vous dis que vous recevrez une lettre recommandée dans deux mois, aboie fortement l'agent.
— Mais ça fait deux mois, Monsieur !, répond calmement le visiteur.
— Eh bien attendez la fin de la semaine, conclut le guichetier.

Fin de la discussion. L'agent ferme sa trappe et l'homme repart.

Cet homme était visiblement inquiet, Monsieur l'agent administratif ! Un mot calme, du style "Je comprends votre angoisse, mais soyez patient. Vous recevrez bientôt une lettre recommandée" vous aurait-il tué ? Cet homme n’avait pas l’air d’un fou… Il revenait pour la 10e fois ? Et alors… ! Il craint sans doute de finir à la rue, et peut-être avec une famille.

Que feriez-vous à sa place, Monsieur l'agent administratif ? Montrez un peu d’humanité et cessez d'aboyer ! Oui, cessez d'aboyer !


(à suivre)

vendredi 15 août 2014

Famille, maison ou bureau ?

Nos vies sont en permanence ponctuées d'événements heureux, malheureux, inattendus, circonstanciels ou dus à nos choix. Mais un jour, va savoir pourquoi, il arrive que tous les éléments se liguent et se déchaînent au même moment : famille qui part « en cacahuètes », soucis financiers personnels et professionnels, embrouilles administratives… Bref, un joyeux désordre qui, pour moi, s'est transformé en énorme bourbier.

Comme une étrange ritournelle, les difficultés se sont présentées presque chaque matin, jusqu'à surcharger le mulet qui a flanché. Principal souci : l'argent, bien sûr. Et la société de consommation que nous avons bâtie se fait fort de nous rappeler que sans lui nous ne sommes rien.

Le moment arrive où je ne suis plus en mesure de payer mon loyer. Sans attendre, je me rapproche des services sociaux. On m'attribue une charmante personne pour m'aider à décrocher des aides. Je découvre au fur et à mesure les différentes administrations à solliciter et la quantité de dossiers à remplir. Dossiers répondants aux doux noms de CMU, ACS, FSL, RSA, ASS, DALO, ALS… Des abréviations qui ne me sont pas inconnues, mais qui prennent brutalement un sens lorsque je prépare les documents.

C'est la valse des administrations et de la paperasserie ! Combien de temps passé à attendre dans les files, à revenir pour un papier manquant, voire perdu, à téléphoner, à se perdre en rendez-vous qui se terminent immanquablement par : « Il nous faudra le document "machin" sinon votre dossier ne pourra pas être envoyé. »

Tout devient important, tout devient urgent. Chacun y va de son mot de rappel : « N'oubliez pas ! » Entre la famille, la maison et le bureau qui prennent l'eau, par qui et par quoi commencer ? Au secours, où est le bouton « pause » !

lundi 11 août 2014

Chronique d’une chute annoncée

« Qu'est-ce que tu attends? Vas-y, raconte ! Lance-toi dès maintenant... » Ce sont les mots d'une amie chère qui m'ont poussée, il y a peu, à ouvrir ce blog. Certes, je comptais témoigner de mon expérience, mais plus tard, et dans un livre. Encore un témoignage, direz-vous ? Oui, c'est vrai. Mais de par mon métier (je suis journaliste), je sais combien il peut avoir un impact. Le témoignage prend des formes différentes : journal intime, lettre, mémoires... Le mien sera un mélange de récit de vie et de reportage. Dans quel but ? Certainement pas celui de me faire plaindre à la lecture de mes déboires, mais plutôt dans celui de dénoncer un système qui broie des femmes et des hommes au quotidien.

Aujourd'hui, des centaines de milliers de personnes vivent dans la rue, de jour comme de nuit. Le filet social est devenu si ténu qu'il est très facile de devenir SDF. Paradoxe de notre monde ou le bien-être est devenu une règle d'or et un signe de bonne santé durable, nous faisons fi de l'aspect social et humain de la vie en société, élément pourtant indispensable à l'équilibre d'un État. Combien de gens sont ignorés, rejetés, humiliés, pour la seule raison qu'ils sont démunis. La pauvreté dérange, si elle ne fait pas peur, comme une maladie contagieuse...

Je suis sur le point de basculer dans le monde de ceux qu'on appelle « les sans-abris ». Non par choix d'un bon sujet journalistique, mais par le fait d'une série d'ennuis qui, mois après mois, me poussent inexorablement vers la chute. De longs moments de galère qui m'ont fait, et me font encore, réfléchir à la phrase de Shakespeare : « Il n'y a que les mendiants qui puissent compter leurs richesses. »