dimanche 17 août 2014

Mon Dalo prend l'eau (1/2)

L'exclusion est une violence. Celle-ci ne se traduit pas forcément par des coups physiques, des réprimandes ou des insultes. Il y a aussi toutes ces petites choses qui, les unes à la suite des autres, montrent que l'on est différent, rejeté de la cohorte des citoyens...

Il fait extrêmement chaud en ce jour de juin. Le ciel est d'un joli bleu Côte d'Azur. Je quitte l'appartement le sourire aux lèvres, mon volumineux dossier administratif sous le bras. Un petit tour par le métro : foule au ralenti, chaleur suffocante des kilomètres de boyaux souterrains, détour pour éviter certaines lignes en travaux d'été... puis enfin l'air libre. Aujourd'hui, je dépose mon « Dalo » !

Pour les non-initiés, il s'agit des initiales de « Droit au logement opposable ». Institué en 2007, ce document permet aux personnes mal logées de faire valoir leur droit à un logement ou un hébergement digne. Le sésame qui assure de ne pas finir sous les ponts, de retrouver un semblant d'honorabilité... Quoique, là non plus, rien n'est gagné.

En bonne élève, j'ai pris soin la veille de vérifier que toutes les cases du dossier soient bien remplies et qu'il ne manque aucune pièce. Mon assistante sociale y ayant jeté un coup d'œil il y a peu, je suis sûre que le dépôt du Dalo sera une simple formalité. Ruisselante sous les rayons piquants du soleil de midi, je pousse les portes de la Préfecture, dont l'intérieur est climatisé.

Tout beau, tout moderne, le bâtiment, ouvert depuis septembre 2011, offre (étrangement) un espace beaucoup moins fun à ceux qui présentent le Dalo. L'agent administratif, protégé derrière une immense vitre, ouvre une petite trappe pour à la fois entendre nos jolies voix et réceptionner nos documents. Un accueil et des guichets dignes de nos anciens bureaux de poste. Au moins, on comprend tout de suite une chose : ici, l'administration fait autorité.

Après mon « bonjour », auquel l'agent - sourire au vestiaire - répond du bout des lèvres, je te tends le dossier. La femme feuillette et me lance froidement :
— Pourquoi avez-vous barré ces paragraphes ?

L'agent mitraille ses mots sans me laisser le temps d'une réponse :
— On ne fait pas ça, Madame ! Non, mais regarde un peu ce truc ? dit-elle en montrant l'objet du délit à son collègue, qui s'épouvante à son tour.

Je souris. Je sais à qui appartiennent ces grands traits ondulants sur les feuilles.
— C'est mon assistante sociale qui a rayé tout ce qui n'a pas trait à ma situation.
— Votre assistante sociale ? Mais elle n'a pas à faire ça ! On ne peut pas enregistrer un document pareil. Voilà un nouveau formulaire... Remplissez-le proprement.

Punie, je suis ! Chère Gwenaëlle (prénom modifié pour protéger l'anonymat), il va falloir que je vous dise que vos collègues de certaines administrations n'aiment pas du tout vos coups de crayon. L'incident m'amuse et en même temps, j'ai une dizaine de pages à recopier. Courage, ma fille, tu n'es plus à ça près ! Et, par chance, tu as une table et des chaises.

Mon travail en cours, un homme entre. Au guichet, il s'informe du délai pour la validation de son Dalo :
— Vous recevrez une lettre recommandée au bout de deux mois, répète en boucle l'agent administratif, pendant que l'homme tente d'expliquer sa situation. On sent ce dernier tourmenté.
— Je vous dis que vous recevrez une lettre recommandée dans deux mois, aboie fortement l'agent.
— Mais ça fait deux mois, Monsieur !, répond calmement le visiteur.
— Eh bien attendez la fin de la semaine, conclut le guichetier.

Fin de la discussion. L'agent ferme sa trappe et l'homme repart.

Cet homme était visiblement inquiet, Monsieur l'agent administratif ! Un mot calme, du style "Je comprends votre angoisse, mais soyez patient. Vous recevrez bientôt une lettre recommandée" vous aurait-il tué ? Cet homme n’avait pas l’air d’un fou… Il revenait pour la 10e fois ? Et alors… ! Il craint sans doute de finir à la rue, et peut-être avec une famille.

Que feriez-vous à sa place, Monsieur l'agent administratif ? Montrez un peu d’humanité et cessez d'aboyer ! Oui, cessez d'aboyer !


(à suivre)

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