L'exclusion est une violence. Celle-ci ne se traduit pas
forcément par des coups physiques, des réprimandes ou des insultes. Il y a aussi toutes ces petites choses qui, les unes à la suite des autres, montrent que l'on est différent, rejeté de la cohorte des citoyens...
Il fait extrêmement chaud en ce jour de juin. Le ciel est d'un
joli bleu Côte d'Azur. Je quitte l'appartement le sourire aux lèvres, mon
volumineux dossier administratif sous le bras. Un petit tour par le métro
: foule au ralenti, chaleur suffocante des kilomètres de boyaux
souterrains, détour pour éviter certaines lignes en travaux d'été... puis enfin l'air libre. Aujourd'hui, je dépose mon « Dalo » !
Pour les non-initiés, il s'agit des initiales de « Droit au
logement opposable ». Institué en 2007, ce document permet aux personnes
mal logées de faire valoir leur droit à un logement ou un hébergement
digne. Le sésame qui assure de ne pas finir sous les ponts, de retrouver
un semblant d'honorabilité... Quoique, là non plus, rien n'est gagné.
En bonne élève, j'ai pris soin la veille de vérifier que
toutes les cases du dossier soient bien remplies et qu'il ne manque aucune pièce. Mon
assistante sociale y ayant jeté un coup d'œil il y a peu, je suis sûre que le
dépôt du Dalo sera une simple formalité. Ruisselante sous les
rayons piquants du soleil de midi, je pousse les portes de la Préfecture, dont l'intérieur est climatisé.
Tout beau, tout moderne, le bâtiment, ouvert depuis
septembre 2011, offre (étrangement) un espace beaucoup moins fun à ceux qui présentent le Dalo. L'agent administratif, protégé derrière une
immense vitre, ouvre une petite trappe pour à la fois entendre
nos jolies voix et réceptionner nos documents. Un accueil et des guichets
dignes de nos anciens bureaux de poste. Au moins, on comprend tout de suite une
chose : ici, l'administration fait autorité.
Après mon « bonjour », auquel l'agent - sourire au vestiaire
- répond du bout des lèvres, je te tends le dossier. La femme feuillette
et me lance froidement :
— Pourquoi avez-vous barré ces paragraphes ?
L'agent mitraille ses mots
sans me laisser le temps d'une réponse :
— On ne fait pas ça, Madame ! Non, mais
regarde un peu ce truc ? dit-elle en montrant l'objet du délit à son
collègue, qui s'épouvante à son tour.
Je souris. Je sais à qui appartiennent ces grands
traits ondulants sur les feuilles.
— C'est mon assistante sociale qui a rayé tout ce qui
n'a pas trait à ma situation.
— Votre assistante sociale ? Mais elle n'a pas à
faire ça ! On ne peut pas enregistrer un document pareil. Voilà un
nouveau formulaire... Remplissez-le proprement.
Punie, je suis ! Chère Gwenaëlle (prénom
modifié pour protéger l'anonymat), il va falloir que je vous dise que vos
collègues de certaines administrations n'aiment pas du tout vos coups de
crayon. L'incident m'amuse et en même temps, j'ai une dizaine de pages à
recopier. Courage, ma fille, tu n'es plus à ça près ! Et, par
chance, tu as une table et des chaises.
Mon travail en cours, un homme entre. Au guichet, il
s'informe du délai pour la validation de son Dalo :
— Vous recevrez une lettre recommandée au bout de
deux mois, répète en boucle l'agent administratif, pendant que
l'homme tente d'expliquer sa situation. On sent ce dernier tourmenté.
— Je vous dis que vous recevrez une
lettre recommandée dans deux mois, aboie fortement l'agent.
— Mais ça fait deux mois, Monsieur
!, répond calmement le visiteur.
— Eh bien attendez la fin de la semaine, conclut le
guichetier.
Fin de la discussion. L'agent ferme sa trappe et l'homme
repart.
Cet homme était visiblement
inquiet, Monsieur l'agent administratif ! Un mot calme, du
style "Je comprends votre angoisse, mais soyez patient. Vous recevrez
bientôt une lettre recommandée" vous aurait-il tué ? Cet homme n’avait pas
l’air d’un fou… Il revenait pour la 10e fois ? Et
alors… ! Il craint sans doute de finir à la rue, et peut-être avec une
famille.
Que feriez-vous à sa place, Monsieur l'agent administratif ?
Montrez un peu d’humanité et cessez d'aboyer ! Oui, cessez d'aboyer !
(à suivre)
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